Chapitre 5 – Le Moyen Français et le français de la Renaissance
I] La Diffusion de l'appareil judiciaire, le recul des scriptas et la diffusion du Français Commun
A. Un Français commun vite répandu
Dans le nord de la France, le remplacement des chartes latines par des chartes écrites en langue d'oïl ne s'amorce qu'à partie de l'extrême fin du XIIe siècle.
è Les administrations locales ont progressivement remplacé les différentes scriptas locales par un français de moins en moins teinté de traits régionaux.
Le processus s’accélère de plus en plus par la suite dans tout le domaine d’oïl.
Dans le sud de la France, les scriptas d’Oc resteront pendant longtemps majoritaire.
Le français commun s’est formé dans sa forme écrite dans les régions centrales du domaine d’oïl par élaboration savante, avec une base sociale (la langue dite du pouvoir, mais filtrée par les clercs à l’écrit)
C’est surtout à partir du XIVe siècle que l’on peut soutenir que le français qui s’est répandu est celui de Paris.
B. Disparition des traits dialectaux
Dans les provinces les plus proches de Paris on assiste à un abandon plus précoce des scriptas locales.
Exemple : Les chartes produites en Champagne ne peuvent plus être distinguée de celles de Paris d’un point de vue linguistique. De même pour l’Orléanais au milieu du XIVe siècle, la Touraine et les provinces du Nord-Ouest également (Bretagne, Anjou, Maine)
Les traits dialectaux disparaissent presque complètement dans le dernier quart du XIVe siècle.
Dans les provinces les plus éloignées, ces traits disparaissent au cours du XVe siècle.
ð Le français commun se répand très rapidement au cours de la période du moyen français
II] Les traductions, la re-latinisation de la langue et la première réflexion sur le français
A. L’essor de la prose
Les premières œuvres françaises en prose apparaissent au tout début du XIIIe siècle.
Ce n’est qu’au XIVe siècle, à quelques exceptions près, que la prose commence à être utilisée pour des œuvres sérieuses, de réflexion (celles-ci n’étaient composées qu’en latin, les vers, avec les contraintes de la rime, la prose étant réservé aux œuvres de fiction, moins vraies.)
Les étapes décisives durent les traductions d’œuvres latines composées notamment sous les règnes de Jean le Bon et surtout de Charles V, dit le Sage.
Ces souverains éclairés commanditèrent à des clercs des translations (comme on disait à l’époque) d’œuvres latines, classiques et médiévales, pour qu’elles furent accessible aux élites laïques.
Grands traducteurs :
- Raoul de Presles La Cité de Dieu de Saint Augustin
- Nicole Oresme, grand traducteur d’Aristote
Le grand mérite de ces traductions est d’avoir développé une réflexion sur la langue française et d’avoir introduit un grand nombre de mots latin en français par voie savante.
B. Réflexion sur la Langue Française
Tout en traduisant, ces traducteurs ont réfléchi aux différences Langue Latine/Langue Française.
*glose = commentaire des traducteurs au sein des œuvres traduites
Dans les gloses et les prologues, les traducteurs faisaient remarquer qu’il était impossible de traduire mot à mot les œuvres latines et qu’il fallait développer les phrases pour les rendre compréhensible aux lecteurs.
On remarque alors une tendance qui se développera de plus en plus à la fin du XIVe siècle et surtout au cours du XVe siècle : la tendance à écrire des phrases longues, liées entre elles par de nombreux connecteurs logiques de toute sorte, qui sont parmi les traits marquant de la prose du moyen français, plus l’emploi massif de prépositions.
(!) la diffusion de la relative variable en genre et en nombre lequel en moyen français = beaucoup utilisé ; apparu en ancien français, il est employé de façon régulière au XIVe siècle (plus qu’aujourd’hui)
C. Lexique
Les traducteurs devaient traduire des textes de l’Antiquité, et se retrouvait devant l’impasse de la langue sur des notions pour lesquelles ils n’avaient pas les mots.
Ils sont donc allés chercher les mots qui manquaient dans les textes latins qu’ils traduisaient. (le plus souvent en ne les francisant que dans les suffixes)
è La moitié des mots français d’origine latine sont entrés dans la langue par voie savante et non pas par voie héréditaire. (À l’époque du moyen français)
Le fond primitif du lexique français trouve son origine dans le latin parlé qui a évolué spontanément vers le français en passant par différentes étapes : pour ces mots qui ne sont jamais sortis du bagage lexical des peuples gallo-romans, on parle de mots héréditaires.
Les mots d’origines latine mais qui, pour différentes raisons, avaient disparu de la langue parlée et qui ont été réintroduits à différentes époques en français par voie d’emprunt sont dit mots d’emprunt ou mots savants.
Ces deux classes de mots sont souvent reconnaissables de par leur forme même : les mots héréditaires ressemblent beaucoup moins à leur étymon latin, puisqu’ils ont subi ce qu’on appelle l’érosion phonétique : les mots d’emprunts gardent une grande ressemblance avec leur étymon puisque précisément, ont été pris tels quels et à peine francisés.
Le mot latin existait en réalité déjà en français parfois, mais l’évolution phonétique l’avait tellement modifié, en en changeant souvent aussi le sens, que ce mot ne pouvait plus être employé pour traduire le concept latin. Ainsi il existe des doublets en français, c’est-à-dire deux mots qui diffèrent plus ou moins selon le cas, dans la forme et dans le sens mais qui ont la même étymologie. (l’un est le mot héréditaire, l’autre est le mot d’emprunt)
Latin
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Mot Héréditaire
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Mot d’Emprunt
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Calumnia
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challenge
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Calomnie
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Fabrica
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Forge
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Fabrique
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Mobile
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Meuble
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Mobile
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Separare
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Sevrer
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Séparer
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Adorare
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Aorer
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Adorer
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Rapidu
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Rade
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Rapide
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Veritate
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Verté
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Vérité
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Mutare
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Muer
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Muter
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Parfois le mot d’emprunt a fini par supplanter le MH (calumnia, rapidu, veritate)
D’autre fois, le MH est resté en français, mais ses dérivés sont des mots d’emprunt, et donc ont une forme savante, plus proche de la forme latine
Audire
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Ouir → Auditif
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Scola
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Ecole → Scolaire, Scolastique
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Lacrima
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Larme → Lacrymal
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Cane
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Chien → Canin
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Cf Histoire de la Langue Française – M.Huchon
Nombre de ces mots sont considérés encore aujourd’hui comme des mots savants, ou alors ils expriment des notions abstraites.
A cet époque on commence à utiliser le français à la place du latin dans des ouvrages de réflexion, le français auparavant était réservé à la littérature. Les mots qui désignaient des réalités abstraites, même s’ils avaient existé en latin, avaient disparu en latin parlé, puis en français (comme dans les autres langues romanes).
Quand les traducteurs introduisaient de nouveaux mots empruntés au latin, ils pouvaient les accompagner d’autres qui existaient déjà en ancien français, des synonymes donc, qui avaient en quelque sorte la fonction d’expliquer le mot d’emprunt : on appelle des synonymes juxtaposés, Binômes Synonymiques.
Dans quelques cas, les synonymes étaient ajoutés non seulement à côté des néologismes, mais aussi à coté de mots qui existaient déjà en français : ce procédé s’expliquait souvent, au début, par la nécessité de clarifier les mots.
è L’emploi des binômes deviendra par la suite une véritable habitude pour les écrivains du moyen français.
Des questions étymologiques entraineront la condamnation de ce procédé par les grammairiens du XVIIe siècle.
III] Le Français de la Renaissance : L’intervention de François Ier
Roi emblématique de la Renaissance française. Très cultivé et imbu de culture italienne (La renaissance Humaniste a commencé au XVe siècle en Italie), mécène, frère de l’écrivaine Marguerite de Navarre (Heptaméron), il a joué un rôle politique important contre l’autre grand monarque chrétien de l’époque, Charles Quint.
L’Ordonnance de Villers-Cotterets
= Édictée par François Ier en août 1539
→ vise à proscrire le latin des actes officiels (cela pouvait donner lieu à des malentendus) et remplacer l’occitan dans le Sud de la France, par le français
Introduction de la virgule
La seule langue proscrite serait le latin, et les langues autorisées seraient le français et les autres langues maternelles
Même si c’était un élément nouveau (l’occitan était encore toléré dans les actes officiels), les élites du Midi avaient petit à petit appris le français déjà.
L’ordonnance ne provoqua aucune réaction négative. Dans un sens, elle ne fit que sanctionner un état de fait, parce que la plupart des actes officiels étaient déjà rédigés en français aussi dans le Sud.
IV] Le Vocabulaire et les Grammaires
Le XVIe est le siècle de la réflexion sur le français.
Une réflexion sur le latin existait déjà mais elle ne concernait que la seule langue enseignée, le latin.
A. Les raisons d’une codification
Avant la codification du XVIe on ne peut pas parler de fautes
Cette notion était étrangère aux scripteurs médiévaux, la norme n’existait pas. Bien que des habitudes graphiques se soient imposées dans les différentes régions où l’on écrivait la langue d’oïl, dans les textes on peut trouver deux formes graphiques différentes pour un même mot à quelques lignes de distance. Précisément parce que les copistes étaient relativement libres de choisir entre plusieurs graphies.
Avec la découverte du véritable latin classique et du grec ancien, les grammairiens français commencèrent à comparer leur langue à ces grandes langues de culture.
On assiste à un premier purisme chez les grammairiens au XVIe siècle. Geoffroy Tory fit remarque : « non réglé, le français se pervertit de cinquante ans en cinquante ans » et que seule a codification peut retarder cette dégénérescence. L’influence culturelle de l’Italie était mal vue par nombre d’hommes appartenant à l’élite dominante traditionnel : Les reines Catherine de Medicis et Marie de Médicis avaient incorporé nombre de courtisans et artistes italien qui ont contribué à introduire certains mots italiens en français (arcade, corniche, cadence, concert, altesse, carrosse, courtiser…)
D’après les théoriciens de l’époque, c’était surtout au moyen de mots venant des parlers régionaux, comme on dirait aujourd’hui, ainsi que du passé du français, et non pas des langues anciennes et des langues étrangères, que le vocabulaire du français, qui était encore considéré comme pauvre, devait s’enrichir.
è Abrégé de l’art poétique Ronsard (1565) = sorte de manuel pour jeunes poètes qui portait dans son dernier chapitre, le lexique à employer dans les compositions poétiques.
B. Hiérarchie grammaticale
Orthographia gallica = manuel de prononciation des lettres suivant leur place dans le mot
Le Donat Français commandité par John Barton, est le premier ouvrage de type grammatical qui porte sur le français et non pas sur le latin, il n’en reste pas moins très élémentaire. Cet ouvrage précède néanmoins de 130 ans avant l’éclosion de la véritable réflexion grammaticale sur le français.
La première véritable grammaire française a en effet paru en 1530.
è Publié pour la première fois en Angleterre car le français était étudié en tant que langue seconde selon de vieilles traditions.
Parmi les grammaires publiées en français
- Le Tretté de la grammaire françoeze par Louis Meigret (1550)
(Essaie aussi d’introduire une réforme de l’orthographe)
- Le Traicté de la grammaire francoise par Robert Estienne
- La Grammaire de Pierre de la Ramée
(professeur d’éloquence, c’est surement le récit le mieux structuré, l’auteur y distingue étymologie qui correspond grosso modo à nos phonétiques et morphologie, et syntaxe)
Le souci de la hiérarchie des formes est de donner un paradigme cohérent.
Les grammairiens ont ainsi éliminé les apparentes anomalies et ont proposé des paradigmes de l’indicatif présent qui élimine les alternances vocaliques due aux déplacements de l’accent tonique.
Un grand nombre de formes analogiques ont ainsi fini par s’imposer, même si la langue a gardé quelques alternances étymologiques.
C. Evolution par analogie
*Analogie = en tant que phénomène linguistique, c’est un processus selon lequel certaines formes linguistiques sont refaites sur le modèle d’autre formes : généralement les formes abandonnées sont moins employées et présentent des irrégularités ; inversement, les formes qui exercent une influence assimilatrice sont plus employées et régulières.
C’est donc un processus assimilateur pouvant être le fruit de l’évolution naturelle d’une langue ou, moins souvent, être imposé par les grammairiens.
Agit plus facilement qu’une forme moins employée : ainsi, le subjonctif imparfait, bien qu’il fût plus employé dans le passé qu'aujourd’hui, l’était moins que le passé simple – qui, lui, était très employé, alors qu’il ne l’est pratiquement plus de nos jours.
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