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" La jeunesse est le temps d'étudier la sagesse; la vieillesse est le temps de la pratiquer."
Rousseau

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Lecture - Lettres Portugaises, Guilleragues


Lettres Portugaises – Guilleragues


Roman épistolaire de l’année 1669, qui dresse un sujet passionnel déployé en cinq moments, cherchant la vérité dans un discours amoureux à défaut de le trouver dans celui qui l’a fait naître. C’est une étude de la passion destructrice.
Les Lettres Portugaises offrent deux espaces scénographiques contigus, et en apparence hétérogènes : l’avertissement « Au lecteur » et le premier passage de la première lettre. La prise de parole s’opère dans les deux espaces sur le mode de la première personne, sous une enveloppe unique, le point commun de ces adresses étant la confidence. La vrai-fausse préface des Lettres Portugaises qui s’adresse au lecteur joue plusieurs rôles dans la gestion du récit. Elle définit le pacte énonciatif qui sous-entend la scénographie propre à ce texte comme une séquence cadrative, servant à marquer le seuil de l’oeuvre tout en signalant un changement des différents espaces énonciatifs, mais aussi des différents récits qu’abrite le texte. Cela laisse croire à une correspondance authentique, laissant la parole du « personnage » monopoliser l’espace dans une subjectivité affichée et rapportée au seul principe de la passion qui la gouverne et la dévore. C’est ainsi que ce roman épistolaire a longtemps été attribué à une plume féminine, une religieuse portugaise, Mariane da Costa Alcoforado de la ville de Beja. Ces cinq lettres rapportant la passion brûlante d’une amante délaissée par son séducteur relèvent pourtant de la production du diplomate Gilleragues qui s’inscrit grâce à cette œuvre dans le genre épistolaire.
On y observe un dialogisme interlocutif se définissant comme la rencontre d’un énoncé avec un autre dans le cadre d’une interaction verbale, d’un dialogue. On a l’impression que Marianne fait les questions et les réponses en ayant recours aux questions directes, qui ne sont pas tant des questions rhétoriques que des vrais questions, elle est tendue vers l’autre et tente par tous les moyens d’instaurer le dialogue. Cette dérive d’interrogations en raison d’absence de réponse laisse signifier le désespoir grandissant de l’épistolière qui les transforme en assertions modalisées. Dans le texte, il s’agit de formes qui jouent d’une tension entre signifiant et signifié, additionnant à la valeur littérale une valeur figurée qui sollicite un type de réponse négative ou une confirmation : à chaque fois la réponse s’impose avec évidence. Se libère alors une puissante énergie de la parole provoquant un amenuisement de l’action, il ne se passe rien. On assiste à un auto-dialogisme par métonymies personnifiées et on s’aperçoit, après avoir lu toutes les lettres, que cette propension à se parler à soi-même est moins le signe d’une folie que d’une nécessité conversationnelle. Ce monologue intérieur est un espace de refuge de la parole qui permet à l’énonciateur de faire le point sur sa situation et donc on ne peut qu’être frappé par l’extrême lucidité de la religieuse sur sa situation. Cet enfermement du discours amoureux confère à ce texte épistolaire une tonalité tragique d’une éclatante pureté. On y observe l’association paradoxale des paramètres énonciatifs qui fonde la consubstantialité entre narration et action, la communication épistolaire se trouve sur une ligne tangente où elle joue en permanence avec la non-communication. L’échec du dialogue libère un soliloque frénétique conduisant au solipsisme.
Entre subjectivité et désubjectivation, construction et déconstruction de l’identité à soi et à l’autre, on voit les lettres où les jeux de rôles mettent en scène les dernier vecteur du discours amoureux. Le discours de soi à l’autre devient discours de soi à soi.

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