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" La jeunesse est le temps d'étudier la sagesse; la vieillesse est le temps de la pratiquer."
Rousseau

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Britannicus (I, 1) - Racine

Britannicus, Jean Racine

Acte 1, scène 1, vers 1 à 48


Introduction

Cette pièce, écrite en alexandrin avec des rimes suivies, a été écrite en 1669 par Jean Racine. Cet auteur classique porte l’influence de son éducation janséniste. Britannicus emprunte son intrigue à l’histoire et plus précisément à l’histoire de la Rome antique. L’histoire, et en particulier celle de l’Antiquité, est fréquemment utilisée par Racine et par les autres auteurs de cette époque. Par exemple, Racine écrit Bérénice en 1670, Phèdre et Andromaque en 1677 et Corneille écrit Médée en 1635, puis Horace en 1640. Britannicus est une pièce jouant sur le thème, répandu dans les tragédies, de la passion amoureuse violente provoquant fatalement un drame. Mais le sujet politique est également présent et il sera au centre de ce commentaire. 
Je vais faire ici une rapide synthèse de l’intrigue. Néron se retrouve au pouvoir grâce à sa mère qui convainc son deuxième mari l’empereur Claude de nommer son fils, plutôt que Britannicus, le fils légitime de l’empereur. Lorsque la pièce commence, l’élément perturbateur s’est déjà produit. Néron a fait enlever l’amante de Britannicus car il considérait que l’union de Britannicus et de Junie allait déstabiliser son pouvoir. Seulement, il tombe éperdument amoureux de Junie et décide de l’épouser. Débute alors une suite d’événement faisant intervenir la mère de Néron, inquiète au sujet de l’influence qu’elle perd sur son fils, Britannicus désirant récupérer Junie et cette dernière cédant aux chantages de l’empereur. S’ajoute à cela des confidents tantôt honnête, tantôt fidèle et tantôt traître pour que la tragique fatalité s’opère et que la tragédie racinienne aboutisse.
Je vais ici analyser les vers 1 à 48 de la scène 1 de l’acte 1. Nous avons ici ce qu’on nomme une scène d’exposition, qui sert à poser une série d’éléments nécessaire à l’intrigue. Elle se présente sous la forme d’une conversation entre Agrippine et Albine sa confidente. Celle-ci a surpris sa maîtresse en train d’attendre devant la porte de son fils l’empereur. En effet, elle espère avoir une entrevue avec Néron au sujet de l’enlèvement de Junie mais ce dernier refuse de voir sa mère depuis quelque temps. Agrippine sent que son emprise sur le pouvoir impérial est en danger. Cette discussion sert de prétexte pour poser l’intrigue, les figures de Néron et Agrippine, le lieu, l’époque et enfin le moment. C’est-à-dire, sans m’attarder, que la pièce de déroule dans le palais de Néron, à Rome, probablement en 56 ap. J-C
27 : 2 ans de règne qui a commencé en 54 ap. J-C) et vraisemblablement à l’aube. Concernant le centre de l’intrigue, il y a un changement de comportement chez Néron et il se montre hostile face à son rival.
Comment ce traduit cette hostilité ? On ne le sait pas dans l’extrait étudié, mais plus tard dans le vers 54 : « Fais enlever Junie au milieu de la nuit. ». Cette attente marque un suspens dans le récit. On ne sait pas encore pourquoi cela concerne Agrippine mais on apprend, également hors de l’extrait à analyser, que le lien entre Britannicus et Junie est sa volonté et cela l’inquiète que l’empereur aille à l’encontre de celle-ci. Agrippine se trouve privée de l’influence qu’elle avait sur l’empereur.

Analyse

Je vais me concentrer sur trois thèmes en lien avec le sujet du cours. Premièrement, je traiterai les figures d’Agrippine et de Néron qui sont révélatrices d’une lutte de pouvoir. Puis, je m’attarderai sur la question des influences politique et des complots au sein de la cour de Néron. Enfin, je me concentrerai sur les mentions des empereurs passés et du poids de ces figures politiques.

1.      Agrippine et Néron, une lutte de pouvoir

C’est surtout le portait d’Agrippine qui nous est ici décrit. Ensuite, et par des points de vue extérieurs celui l’empereur Néron. Agrippine cherche à convaincre Albine que Néron est en train de devenir un tyran. Mais avant tout, voyons à quel point la figure d’Agrippine apparait comme autoritaire. Pour cela, je me pencherai simplement sur les verbes de ses deux premiers vers : « il ne faut pas » et « je veux ». Le fait qu’elle soit en train d’attendre devant la porte de son fils pour lui parler montre déjà, en soi, un puissant caractère.
Voyons maintenant comment elle argumente en faveur de la tyrannie de Néron, face à Albine qui dit simplement qu’il n’a rien fait de mal pour l’instant (vers 25 et 26). En vérité, elle utilise un argument pour en cacher un autre qui est intéressé. Premier argument, vers 35 et 36 : « Il se déguise en vain. Je lis sur son visage // Des fiers Domitius l’humeur triste (Note de bas de page : tempérament farouche), et sauvage. ». Pour résumer, elle dit qu’elle sait qu’il devient un tyran car elle reconnait en lui de mauvaises humeurs qui seraient familiales. Mais je reviendrai sur ce point dans la troisième partie. L’autre argument, moins explicite mais plus important pour Agrippine est, comme le montre les deux derniers vers de l’extrait, que le problème c’est que Néron ne reconnait plus son autorité et cela déplait fortement à cette femme de pouvoir qu’est Agrippine. En effet, le vers 48 : « Mais qu’il songe un peu plus qu’Agrippine est sa mère. » met en scène Agrippine revendiquant l’autorité que le statut de mère lui octroie. 

2.      Influences politiques et complots

C’est encore à travers la parole d’Agrippine que je vais travailler. Elle présente Néron comme ne subissant aucune influence car il est devenu un tyran. Au vers 11 et 12 : « L’impatient Néron cesse de se contraindre, // Las de se faire aimer il veut se faire craindre ». Ensuite Agrippine lie un certain nombre d’adjectifs à son fils : ingrats (vers 22), sauvage (vers 36) et orgueil (vers 37). Agrippine dresse le portrait d’un homme ingrat, sauvage, orgueilleux et donc implicitement incontrôlable. Cependant, il n’est pas insensible aux influences. Son confident et surtout celui de Britannicus auront une certaine influence sur lui. Le réel manque d’influence est ressenti par Agrippine. Elle se retrouve donc perdante au même titre que Britannicus. Ce point commun annonce la future alliance de ces deux camps que tout oppose au premier abord. Cette alliance d’intérêt n’est pas une alliance de conviction et apparait contre nature. Par cette différence, Racine se rapproche d’une réalité politique.

3.      Poids des empereurs passés

Néron est comparé par Agrippine à des empereurs l’ayant précédé afin d’argumenter en faveur de sa transformation tyrannique et pour assoir la fatalité de cette transformation. Il est comparé par inversion à Auguste aux vers 32 à 34. Si Auguste a eu une fin de vie paisible Néron verra la suite de son règne se rapprocher des violences qui ont caractérisées le début de celui d’Auguste. En faisant se rapprochement, Agrippine retourne l’argument d’Albine, soutenant que Néron avait autant de vertu qu’Auguste à la fin de son règne. Plus loin, Agrippine s’appuie sur la figure de Caïus, c’est-à-dire le célèbre Caligula pour démontrer que la tyrannie est dans le sang de Néron. En effet, Caligula est le frère d’Agrippine. De manière sous-jacente, ce point est également soutenu par le caractère également autoritaire d’Agrippine. En d’autres termes, on reproche ici à Néron les vices de ses ancêtres avec l’argument du sang. Pourtant, comme je l’ai déjà dit, Néron n’est encore qu’un tyran naissant. Il correspondra de plus en plus à cette première description au fil de l’intrigue et des conseils qu’il reçoit, en particulier ceux de Narcisse, le confident de Britannicus.

Conclusion

Racine pose des questions très importantes à travers son œuvre. Si j’ouvre ici l’analyse à l’ensemble de l’œuvre, je peux donner plusieurs exemples de thèmes : Quand peut-on considérer qu’un empereur abuse de son pouvoir ? Existe-t-il une limite à un tel pouvoir ? Est-il possible de s’y opposer ?

Mais plus spécifiquement à notre extrait, Néron apparaît comme marchant vers son destin tyrannique, contraint par sa nature. Mais, au-delà de ça, il semble se transformer pour correspondre à une attente. Il est influencé par d’autres personnages. Par exemple, la figure d’autorité de sa mère, qui apparaît aussi monstrueuse que son fils et aussi avide de pouvoir que lui, joue un rôle fondateur. C’est elle le premier tyran que l’on rencontre dans la pièce. Cette figure, qu’il cherche d’ailleurs à fuir, le pousse à un désir d’autonomie qui se transforme en tyrannie.

De plus, les complots à son égard, que Racine décide de montrer dans sa pièce, l’obligent à réagir avec force. Néron n’aurait-il pas simplement endossé le rôle qu’on lui promettait, n’est-il pas une victime au même titre que tous dans la tragédie de Racine ?

L’éducation et l’entourage de l’empereur prennent alors une importance considérable au point de devenir un facteur de transformation tyrannique. Racine ne met-il pas ici en lumière le processus de naissance d’un tyran ? Dans ce cas, il est possible que Racine le camoufle à l’ombre d’une fatalité immuable et tragique.
 

        - RACINE Jean, Britannicus, Barcelone, Édition Gallimard, 2016. 



A. Rognon

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